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BBC X RCME : « C’est une révolution » comment le rugby prend Paris
https://www.youtube.com/watch?v=wogvs7OFykE
Mathieu Bastareaud avait le choix entre plusieurs paires de chaussettes.
Il aurait pu porter celles de son club d'enfance, Créteil. Il aurait pu choisir celles de Toulon, avec qui il a remporté des titres européens et français. Peut-être que celles du Stade Français, le club où il a explosé au plus haut niveau, auraient été plus appropriées. Mais lorsqu'il a été sélectionné pour jouer avec les Barbarians en 2019, il a décidé d'associer leur célèbre maillot aux chaussettes bleu ciel de Massy.
"Je suis très fier de faire partie de ce club", confie-t-il à BBC Sport. "C'est peut-être étrange, car je n'y suis resté que trois ans, à partir de mes 15 ans. « Mais je n’aurais pas eu la même carrière sans Massy." Et la France n’aurait pas eu la même équipe.
Après avoir quitté Massy, Bastareaud a obtenu 54 sélections au cours d'une carrière en équipe de France qui a duré une décennie et inclus le Grand Chelem de 2010.
Massy n’est pas Paris. Ce n’est pas la destination des touristes, qui restent au centre-ville pour profiter des boulevards dorés du crépuscule, des boulangeries et des marinières bretonnes. Ce n'est pas non plus Paris pour ses habitants, qui préfèrent se définir comme massicois plutôt que comme parisiens.
Mais, en réalité, ils sont trop proches pour être autre chose. À 40 minutes en train du centre de Paris, Massy fait partie de ces banlieues qui encerclent la capitale. Un territoire coincé entre la ville et la périphérie, souvent laissé de côté dans l’image vendue au monde entier. Ce qui est certain au sein de ces banlieues, en revanche, c’est la domination du football. En remontant depuis la gare, à travers le dédale d'immeubles bas de Massy, on croise des jeunes portant les maillots de clubs du monde entier - Arsenal, Juventus et Real Madrid. Les lettres P, S et G sont taguées sur des surfaces publiques libres. Ce n'est pas surprenant : Paris est peut-être la ville la plus prolifique du monde en matière de formation de joueurs de football.
Mais Paris ne vit pas que pour le football.Un club de rugby, en particulier, continue de résister et faire exception.
Massy, fondé en 1971, évolue en troisième division et attire des foules d’environ 2.500 spectateurs dans son petit stade. Son impact, pourtant, est démesuré. Dans le club-house, de petites photos encadrées tapissent les murs. Sur chacune, un joueur porte le maillot bleu de l’équipe de France. Bastareaud y figure et nous fixe du regard. Cameron Woki, une star de l'équipe du Grand Chelem 2022, est deux places plus loin. Sekou Macalou, membre du groupe lors de la Coupe du Monde de Rugby 2023, est présent. Yacouba Camara, qui a joué lors de la Coupe du Monde 2019 au Japon, aussi. Jordan Joseph, nommé meilleur jeune joueur du monde en 2018 et désormais international confirmé, en est un autre.
C'est un vivier de talents exceptionnel. Notamment par son emplacement.
Dans les années 1970, l'équipe nationale française était composée presque entièrement de joueurs du sud de la Loire, puisant dans les bastions ruraux du rugby. Dans les années 1990, cette frontière était moins marquée. Jimmy Marlu, issu de Massy, fut l'un des premiers parisiens à intégrer l'équipe de France. Serge Betsen, également né et élevé dans la capitale, appartenait à la même génération.
Depuis le changement de siècle, toutefois, ce filet est devenu un torrent, avec environ 50 joueurs parisiens – la grande majorité issus de familles ayant des origines hors de la France métropolitaine – ayant représenté l'équipe masculine de France.
Depuis cinq ans, chaque équipe de France a compté au moins un joueur formé à Massy.
Le club cumule plus de 200 sélections internationales ayant représenté le pays en équipes de jeunes, rugby à sept et équipes premières, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Léo Barré est l'un des derniers en date.
L'arrière de 22 ans, qui a inscrit un essai lors de la victoire 33-31 contre l'Angleterre l'an dernier, vient de la riche région de Versailles, mais effectuait le trajet de 30 minutes jusqu'à Massy dès l'âge de 12 ans, attiré par la réussite du centre de formation et ses valeurs.
« C'était incroyable d'arriver au club et de voir le nombre de joueurs internationaux qui en étaient issus », dit-il. « Mais aussi de ressentir l'ambiance dans le vestiaire. Il n’y avait aucune différence – peu importe la couleur, l'origine ou la classe sociale, nous étions tous les mêmes. Nous jouions tous pour le même maillot, pour Massy. »
Barré, jouant pour Massy, a obtenu sa première sélection à l’extérieur, contre le Pays de Galles en mars 2024.
Le succès du club dans la découverte de ce vivier de talents repose sur une philosophie simple : ils rendent l'entrée des jeunes au sein du club aussi facile que possible, et leur départ aussi difficile que possible.
Bruno Ghiringhelli est arrivé à 16 ans en tant qu'espoir, a progressé jusqu'à l'équipe première et est aujourd'hui le directeur sportif du club.
« Massy a été l'un des premiers clubs à mettre en place un programme de sensibilisation aussi vaste », explique-t-il. « Nous allons dans les quartiers et nous présentons le rugby à ceux qui ne l'ont jamais pratiqué ou n’en ont jamais entendu parler. « Souvent, il s'agit de convaincre les parents qui n'ont aucun lien avec le rugby. » Massy sait se montrer convaincant.
Le club gère un réseau de minibus pour que les jeunes ne dépendent ni de leurs parents ni des transports en commun pour venir s'entraîner. Pour les parents qui les accompagnent, Massy offre un espace leur permettant de "travailler depuis le club-house". Des repas sont préparés sur place pour les jeunes joueurs.
Bastareaud se souvient comment certains membres du staff le laissaient dormir chez eux la veille des matchs à l'extérieur pour être sûr qu'il ne manque pas le bus du matin. « Quand tu as besoin de quelque chose, ils trouvent toujours un moyen de t’aider », ajoute-t-il.
Le club met l'accent sur l'éducation, offrant des cours de soutien et surveillant les résultats scolaires, ainsi que sur les opportunités professionnelles, grâce à ses sponsors accompagnant les joueurs.
Cependant, Bruno Ghiringhelli admet que ce n'est pas toujours simple. « Les filles, les réseaux sociaux, la paresse », énumère-t-il parmi les distractions qui peuvent éloigner même les espoirs les plus prometteurs.
Andy Timo faisait partie de ceux qu’il a dû suivre de près pour les maintenir sur la bonne voie. Ghiringhelli allait personnellement chez les Timo pour l’encourager à venir à l'entraînement lorsqu'il hésitait durant son adolescence. L'été dernier, à 20 ans, Timo a remporté l'or olympique aux côtés d'Antoine Dupont. Cette saison, il fait partie de l'équipe première du Stade Français.
« C'est incomparable, un vrai club familial », dit Timo à propos de Massy. « Le club aide vraiment les enfants et les jeunes dans leur vie, en dehors du rugby. « À Massy, tu pourrais presque brûler une maison et ils vous remettraient sur le bon chemin – c'est pour ça que c'est le meilleur club du monde. »
Timo, originaire de la région française d'outre-mer de la Martinique, a aidé l’équipe de France à sept à remporter l’or lors du premier week-end des Jeux de Paris 2024
Il y a, bien sûr, d’autres facteurs.
Le Stade Français et le Racing 92, les deux clubs de haut niveau de Paris, ont émergé des divisions inférieures au tournant des années 2000 grâce à de riches mécènes. Ils concurrencent aujourd’hui Massy pour attirer les jeunes talents parisiens et offrent une voie claire vers le sommet qui ne nécessite pas de quitter la ville. Le succès d’une équipe de football française multiculturelle, célébré sous le slogan "Black, blanc, beur", lors de la Coupe du Monde à domicile en 1998 a également modifié la perception de la représentation nationale. Mais pas toujours partout. En déplacement, les jeunes joueurs de Massy et leurs dirigeants ont été confrontés à un racisme plus ou moins manifeste.
Bastareaud, né en Guadeloupe, en a également été victime. Lorsqu'il a été sélectionné pour la première fois avec la France en 2009, le sélectionneur Marc Lièvremont a reçu des courriers haineux. « Une personne noire de la banlieue parisienne – les gens n'étaient pas habitués à voir ça. Quand quelque chose de nouveau arrive, tu es parfois choqué et ne sais pas comment réagir », explique Bastareaud. « Au début, je ne chantais pas l’hymne national, c'était trop d'émotions, je préférais me concentrer, et ils disaient que je ne chantais pas parce que je ne me sentais pas Français. C'était du racisme. Je suis Français. « Mais en France, dès qu'on change quelque chose, c'est toujours terrible ! »
Barre, qui comme Timo joue désormais au Stade Français, affirme que les joueurs parisiens ont bien plus changé que l’apparence de l’équipe de France. Il utilise le mot "grinta" pour résumer un état d'esprit parisien particulier. Il n'a pas d'équivalent exact en anglais, mais le terme exprime une ténacité, une férocité et une détermination qui ont peut-être manqué aux équipes françaises du passé. « La façon dont jouent les Parisiens – c'est un mélange de personnes venant d’horizons différents, certaines en difficulté, d’autres avec des parcours variés, mais toutes prêtes à tout donner pour l’équipe », dit Barré.
« C'est inspirant. » Paris fait désormais partie intégrante de l'équipe de France. « C'est une révolution », affirme Ghiringhelli. « Il y a 15 ou 20 ans, tout le monde ne jouait qu’au football – maintenant, ça change. « On est encore loin d’avoir atteint notre plein potentiel. Le développement a été rapide et efficace, mais il y a encore de nombreux quartiers où nous n’avons pas encore de contacts. « Peut-être que nous ne touchons que 50 % du talent potentiel de Paris. »
Timo partage cet avis. « Il y a encore beaucoup de talents cachés, de jeunes qui pourraient devenir des joueurs comme moi », dit-il.Bastareaud est désormais Coordinateur Sportif à Toulon. Chaque fois qu'il revient de Massy, des membres de l’organigramme du club, situé sur la côte d’azur, lui demandent en plaisantant s'il a ramené de nouveaux espoirs avec lui.
Après un match récent entre Toulon et La Rochelle, Lucas Andjisseramatchi, numéro huit de 18 ans de l’équipe adverse, approcha Bastareaud et demanda poliment un selfie. Il s'est avéré qu'Andjisseramatchi était encore un autre produit de Paris et Massy. Il voulait envoyer la photo à leur ami commun Ghiringhelli pour célébrer les racines qu'ils partagent tous les trois. C’est ce lien que Bastareaud chérit le plus.
Lorsqu'on lui demande son meilleur souvenir de Massy, il ne choisit pas un match. Ni sa sélection en équipe de France alors qu’il jouait encore en troisième division. Il choisit plutôt le bus, pour lequel il dormait la veille chez un des entraineurs du club pour ne pas le manquer. « Mon meilleur souvenir, ce sont les longs déplacements à l’extérieur », dit-il. « Ça pouvait être 10 heures en bus. À l’époque, on n’avait ni réseaux sociaux ni iPads. On discutait, on s’aimait, on se battait et on s’amusait avec nos amis. Ces connexions – c’était le meilleur souvenir. »
Cela a pris du temps, mais la France fait désormais le même voyage.
Retrouvez l'article original de Mike Henson : https://www.bbc.com/sport/rugby-union/articles/cwyewly51n6o