Sport24 11/02
Comment Bernard Laporte a déjà entamé une révolution - Fil Info - XV de France - Rugby
Deux mois après son élection à la présidence de la FFR, l’ancien sélectionneur et secrétaire d’État aux Sports a déjà acté ses premières promesses de campagne. Des décisions qui font grincer les dents dans le petit monde conservateur de l’ovalie. Le bras de fer avec les clubs professionnels s’annonce musclé.Serge Simon fait la moue. « Je pense qu’on peut aller encore plus vite, encore plus loin », réplique le numéro deux de la Fédération française de rugby quand on lui fait remarquer que, 65 jours après l’élection de Bernard Laporte, les premières promesses de campagne – 44 au total – ont déjà été appliquées. Dans le petit monde conservateur du rugby, ces changements apparaissent pourtant déjà comme une révolution. « Copernicienne », sourit le docteur Simon. Ainsi, moins d’une semaine après son accession triomphale à la présidence de la FFR, l’ancien sélectionneur et secrétaire d’État aux Sports (entre autres) avait réglé le cas le plus épineux. Un vote sans appel du comité directeur – où, avec 29 membres sur 40, sa liste est majoritaire –, et le projet de Grand Stade de rugby était enterré. Sans états d’âme. Sans une larme envers les 12 millions d’euros déjà dépensés. Ni les récriminations du conseil général de l’Essonne ni les menaces d’actions juridiques du maire PS de Ris-Orangis, où l’enceinte devait être implantée, ne font sourciller le camp Laporte. Sûr de son bon droit puisque le projet pharaonique de 700 millions d’euros n’a pas d’existence légale, n’ayant jamais été soumis, ni donc approuvé, par l’assemblée générale de la Fédération. Une « légèreté » pour laquelle élus et maîtres d’œuvre n’ont pas fini de se mordre les doigts…Bernard Laporte le répète sans cesse. Tirant sa légitimité des urnes, il a des comptes à rendre à ces centaines de petits clubs amateurs qui ont voté pour lui. Il appliquera donc son programme à la lettre. Prêt à engager toutes les batailles pour parvenir à ses fins. Avec un leitmotiv qui horripile ses adversaires, en particulier les dirigeants du rugby professionnel : « Il y a un seul patron, et c’est le président de la FFR ! » Son vice-président aux attributions élargies (il est responsable du XV de France, des relations avec le rugby pro, de la communication, du marketing…) ne se prive pas de le répéter. La Ligue – qui représente les clubs de Top 14 et de Pro D2 – est aux ordres. « Une filiale commerciale », cingle Serge Simon, qui jure, si cette dernière s’entête à résister, à contrecarrer les projets, de mettre fin à la délégation de pouvoirs accordée par la FFR. « Que la Ligue le veuille ou pas, 2020 sera le point de départ d’un nouveau modèle… »Un monde en ébullitionDes déclarations qui mettent l’ovalie en ébullition. Pendant son double mandat, Pierre Camou avait refusé le combat, acheté la paix en laissant les riches présidents gouverner à leur guise contre quelques concessions. L’accession au pouvoir, inattendue pour beaucoup, de Bernard Laporte bouleverse la donne. Inverse le rapport de forces. « Il fait de la provocation », s’insurge Paul Goze, son homologue à la tête de la Ligue. Il aurait tort de le croire. Le changement, c’est maintenant. L’affiche du Top 14, programmée le dimanche à 16 h 15 sur Canal +, nuisait à la fréquentation, donc aux recettes, des championnats amateurs qui se disputent à 15 heures. Le président Laporte a obtenu, après un coup de fil à Vincent Bolloré, que son coup d’envoi soit reporté d’une heure. Pour faire bonne mesure, la Ligue s’est engagée à offrir un téléviseur grand écran à chacun des 1 885 petits clubs et la chaîne cryptée un abonnement gratuit…Le Grand Stade aux oubliettes, la nouvelle équipe est passée à la mesure suivante. Finis les étrangers naturalisés en équipe de France. Atonio, Vakatawa, Spedding… seront donc les derniers à en avoir profité. Bientôt ce sera une autre : la mise en place, souvent promise, jamais appliquée par la direction précédente, du vote décentralisé. Les clubs amateurs seront ainsi directement consultés pour chaque mesure d’importance. « Le populisme a gagné », grince Serge Blanco, ex-bras droit de l’ex-président Camou. Une accusation qui ne touche pas Laporte. « Je me suis engagé à rendre la Fédération moins distante, plus à l’écoute des clubs. Je vais donc remettre le rugby amateur au centre du village. » Réforme électorale, suppression, bientôt, du comité directeur remplacé par un Conseil national supérieur du rugby où tout le monde aura voix au chapitre. « L’époque de la dictature est terminée », avait prévenu celui qui mena le RC Toulon au sacre européen trois années de suite.Un autre chantier a également été mis en route. Celui qui effraie tant les clubs professionnels. Pour privilégier le XV de France, « la vitrine de notre sport », « Bernie le Dingue » (le surnom que les joueurs qu’il entraînait lui donnaient en cachette…) exige une diminution drastique du nombre de joueurs étrangers en Top 14 et veut mettre sous contrat fédéral, six mois par an, les internationaux français afin qu’ils jouent moins, se préparent mieux. Avec un but proclamé : « Le XV de France doit être champion du monde en 2019 au Japon. » Certains haussent les épaules. Pas Serge Simon. « Ce qui est formidable avec Bernard, c’est qu’il est capable de croire en l’impossible. Conquérir la Fédé ? Ce n’est pas possible ! Lui te dit “si, si”. On va être champion du monde ? Comment ? Il a été champion de France avec Bègles puis le Stade Français. Et ça semblait impossible… Encore plus fort, il est capable de te faire croire, à toi qui croyais que c’était impossible, qu’avec lui c’est possible. C’était déjà comme ça à Bègles. Je n’ai jamais recroisé quelqu’un comme lui, confie au Figaro l’ancien pilier. En cinq minutes, tu te dis “mais oui il a raison” et on y va pour lui… »Retour en arrière indispensable. Frêle demi de mêlée, sans grand talent mais avec un charisme incroyable, Bernard Laporte avait, en 1991, convaincu la phalange béglaise qu’elle avait un destin. Rendu fous par ses mots, les hommes forts, Serge Simon en tête, avaient dominé tous les packs de France et de Navarre pour soulever le bouclier de Brennus. En 1998, jeune entraîneur, il avait accompli la même prouesse avec une bande de revanchards – Serge Simon en tête… –, dont tout le monde se riait pour mener le Stade Français, à peine revenu dans l’élite, au triomphe. Qui m’aime me suive ! Et c’est pour la vie…Car l’accession de Bernard Laporte à la présidence de la FFR a fait des heureux. Parmi ses anciens coéquipiers sous le maillot à damier de Bègles, champions de France en 1991, il n’y a pas que Serge Simon qui l’a rejoint au siège de la Fédération, à Marcoussis. Sébastien Conchy, Christophe Reigt et Marc Geneste ont suivi. Parmi d’autres proches. Dont Max Guazzini, son ex-président au Stade Français, désormais en charge de l’événementiel autour des matchs de l’équipe de France. Pour leur faire de la place, des membres de l’ancienne équipe ont été écartés, remerciés. Et ils ne cachent pas leur amertume. « Il veut éliminer toute personne qui a pu collaborer avec Pierre Camou », hurle Didier Mené, l’ancien patron des arbitres. Florian Grill, l’un des six rescapés de la liste Camou au comité directeur, a lui dénoncé publiquement « une chasse aux sorcières ». « Si on ne fait pas partie du clan Laporte, ou si on ne prête pas allégeance, on est éliminé quels que soient les résultats obtenus. Et vous disiez que vous souhaitiez plus de débats et de démocratie à la FFR ? » Là encore, Laporte et Simon, les inséparables, rejettent les accusations. « On a besoin de gens de confiance, qui partagent notre point de vue, pour mener nos réformes », répliquent-ils.Parmi ceux qui risquaient leur tête, il y avait également le sélectionneur du XV de France, un certain Guy Novès. Un ancien rival sur les terrains dont Laporte, en privé, annonçait le limogeage sitôt parvenu au pouvoir. Mais l’homme est trop malin pour commettre une telle faute de goût. Il a bien constaté, lors de la tournée de novembre, que l’ex-manager du Stade Toulousain avait conquis le public en redonnant aux Bleus une âme, un goût du risque. Le peuple du rugby, conquis par ce renouveau après quatre années de jeu soporifique sous la férule de Philippe Saint-André (conclues par un fiasco en quart de finale de la Coupe du monde, 62 à 13, face aux All Blacks…), n’aurait pas compris que cette querelle d’ego nuise à l’équipe de France. Alors, prudemment, le président de la FFR a fait marche arrière et promit publiquement que Guy Novès ne risquait rien. Qu’il irait jusqu’au terme de son mandat, en 2019.Président bénévole, Laporte est en recherche d’emploiPatron, il l’est donc bien. Mais Bernard Laporte, dont l’épouse, avocate fiscaliste, est également élue les Républicains et porte-parole de Valérie Pécresse, ne manque jamais de rappeler qu’il a choisi d’être « un président bénévole » (Serge Simon, lui, est salarié, avec un salaire mensuel, prévu dans les statuts, de 9 000 euros). Et de souligner qu’à « 52 ans », il n’est pas à la retraite et doit gagner sa vie. Pour d’évidentes raisons éthiques, il a résilié son contrat avec la radio RMC, où il animait deux fois par semaine sa propre émission (« Direct Laporte »). Il est donc en recherche d’emploi. Entre deux dossiers traités à la FFR, il examine les offres, nombreuses paraît-il, qui lui sont faites. Il tranchera bientôt. Une fois le paquebot fédéral remis à l’eau. Pour l’instant, il met les bouchées doubles mais, une fois son équipe bien en place, il prendra un peu de recul. Il a déjà fixé son futur emploi du temps. « Deux jours par semaine à Marcoussis, un troisième à la rencontre des petits clubs. » Une tradition inaugurée lors de sa longue campagne. Une proximité qui a largement contribué à son élection.Il conservera cependant une prérogative : les dossiers internationaux. Avec des chances de peser sur les grandes décisions à venir, comme le réaménagement du calendrier international. Car à World Rugby – la fédération internationale –, on voit son élection d’un bon œil. Parce que cela change de l’immobilisme précédent. Et, surtout, parce que sa détermination à limiter le nombre de joueurs étrangers fait des heureux. Des pays – Fidji, Géorgie, mais aussi Afrique du Sud et Argentine… – pillés par les clubs du Top 14, à une nation majeure comme la Nouvelle-Zélande, qui ne peut lutter contre les salaires mirobolants, tous sont ravis à l’idée de pouvoir bientôt conserver plus facilement leurs meilleurs éléments.Fin politique, Bernard Laporte sait pertinemment que cette bienveillance pourrait lui valoir une nouvelle victoire : obtenir l’organisation de la Coupe du monde 2023. Le dossier de candidature ayant été négligé par l’équipe Camou, l’Irlande a pris de l’avance dans cette course. Il reste moins de cinq mois, d’ici à la remise des dossiers en juin, à Bernard Laporte pour inverser la tendance. « J’ai activé mes réseaux pour montrer notre envie d’organiser cet événement. C’est primordial pour notre sport et notre pays. » Une nouvelle mission impossible. Qu’il serait bien capable, encore une fois, de mener à bien.