Sport24 10/01
Richardson, Suède, Costantini : les souvenirs de 2001 de Fernandez et Martini - Fil Info - Equipe de France - Handball
Ambassadeurs du Mondial 2017, Jérôme Fernandez et Bruno Martini ont accepté de replonger pour le Figaro dans leur souvenir de 2001, lorsque la France avait été sacrée à domicile.Quels souvenirs remontent immédiatement à la surface lorsque l’on vous parle du Mondial 2001 ?Jérôme Fernandez : Il y en a plein. Je pense à la chambre à Nantes où l’on jouait au tarot avec Patrick Cazal, Christian Gaudin, Jackson Richardson et Thierry Omeyer. Je me souviens aussi de l’ambiance dans la salle à Nantes, notamment lors du match contre la Yougoslavie. Cela avait été un match d’hommes, avec beaucoup d’engagement, et c’est après ce match-là que l’on a commencé à se dire que nous pouvions prétendre à une médaille, au moins. A Albertville, j’ai moins de flashes précis. Et puis il y a Bercy pour finir. C’était énorme. Mais c’est vrai que j’ai beaucoup de souvenirs de moments de vie à l’hôtel et moins sur le terrain. A l’époque, nous sortions des Jeux où cela ne s’était pas forcément très bien passé. J’étais jeune à l’époque et je n’avais pas compris vraiment ce qu’il s’était passé. Alors que sur ce Mondial, je trouvais que Daniel (Costantini, le sélectionneur) était bien avec nous, il nous laissait vivre comme on voulait même s’il y avait un cadre.Bruno Martini : C’est vrai que c’était très détendu en dehors. En revanche, sur le terrain, nous avons vécu quelques matches très tendus. Déjà, la Yougoslavie, cela n’avait pas été simple même si nous avions bien su gérer l’écart que nous avions créé au début. Avant ce match, niveau ambiance, je crois que j’ai vécu la Marseillaise la plus forte de ma carrière. Emotionnellement, c’était très fort. Après, contre le Portugal en 8e de finale, on galère alors qu’on était normalement au-dessus. En quart contre l’Allemagne, Jackson arrache la prolongation de justesse. L’Egypte en demies, on fait la différence seulement dans les deux dernières minutes…J.F. : Je me souviens encore du show qu’avait fait leur gardien.B.M. : Jusqu’à ce que Bertrand Gille l’éteigne complètement (rires). Et puis la finale dont on se rappelle tous. Cette compétition avait été une alternance entre moments faciles, sereins, détendus en dehors du terrain et d’autres très tendus sur le terrain. Mais à chaque fois, cela a bien tourné pour nous.Vous parliez du but de Richardson contre l’Allemagne. L’avez-vous revu récemment ?B.M. : Pas récemment, mais je le garde parfaitement en mémoire (sourire). A chaque fois, je me dis que si les Allemands avaient été plus vicieux, jamais Jackson ne marque. Et puis il y a le poteau rentrant qui le rend encore plus beau et incroyable.J.F. : C’est clair que si les Allemands avaient décidé de «descendre» Jackson, quitte à prendre un carton rouge, le match était plié. Je peux vous dire en tout cas que si cela avait été l’inverse et que c’était l’équipe de France de 1995, aucun Allemand n’aurait réussi à tirer !B.M. : C’est clair que Pascal Mahé n’aurait jamais autorisé un tel tir… (rire général)J.F. : Je rejoins en tout cas totalement Bruno sur le fait que tous les moments compliqués ont tourné pour nous, ce qui a décuplé les émotions avec le fait de jouer devant notre public. En plus c’était ma première finale avec les Bleus. D’ailleurs, j’ai un souvenir dingue de ce jour-là. C’était un peu comme si nous étions sur un nuage. Tu te lèves le matin, tu es bien, tu as bien dormi, ton petit-déjeuner est agréable, tu n’as pas la boule au ventre car tu sais que tu as fait le taf et que tu n’as rien à perdre sur une finale face à la meilleure équipe des années 90. Vraiment, je me suis dit qu’il fallait en profiter à fond de ce moment. C’est ce que nous a dit d’ailleurs Daniel avant le match. Il nous a dit d’apprécier et de surprendre ces Suédois en sortant de nos habitudes car si nous jouions sur notre registre, nous ne pouvions pas gagner. Du coup, nous avons abordé ce match comme n’importe quel autre, ce qui était dingue alors qu’il s’agissait d’une finale mondiale. Et à titre personnel, je me souviens que tout m’a réussi en début de match, ce qui était incroyable après une compétition difficile sur le plan individuel.B.M. : C’est à cela que l’on reconnaissait déjà les grands joueurs ! (sourire)J.F. : Au début, il y a Bercy qui chantait «Et 1, et 2, et 3-0 !» C’était fabuleux et on se demandait ce qui se passait. Bon, après, les Suédois sont revenus et ils auraient pu l’emporter jusqu’à ce petit coup de pouce du destin et ce but de Greg (Anquetil) pour égaliser. Après, en prolongation, il ne pouvait plus rien nous arriver. Nous nous sommes dit que même si les Suédois étaient meilleurs que nous, c’était notre jour, tout simplement.B.M. : Le fait d’avoir déjà vécu un scénario similaire face à l’Allemagne nous a beaucoup aidé. Nous étions sereins. C’était nous qui étions revenus au score à la toute fin, ce qui nous favorisait car nous étions sur une bonne dynamique face à une équipe qui se voyait déjà faire péter les bouchons de champagne. Il y avait eu une maîtrise incroyable. D’autant plus que même s’il y avait quelques cadres comme Jackson, Greg ou moi, il y avait aussi et surtout des enfants comme Bertrand (Gille), Daniel (Narcisse) ou d’autres à peine pubères comme Jérôme, Thierry (Omeyer), Didier (Dinart), Guillaume (Gille)… Nous nous en sommes sortis car tout le monde a tenu son rôle sans être écrasé par la pression. Nous avons vraiment joué juste durant la compétition, avec la bonne énergie.Vous sentiez déjà qu’avec cette nouvelle génération, la suite allait être grandiose ?B.M. : Eux ne s’en rendaient pas compte…J.F. : Pour moi, cette finale était le match le plus abouti que j’avais vécu en équipe de France depuis que je l’avais intégrée trois ans auparavant. Je ne m’attendais pas à ce que l’on évolue à ce niveau-là. Et derrière, on a confirmé avec deux médailles de bronze mondiales. D’autres jeunes sont arrivés renforcer le noyau dur et à un moment, c’est vrai qu’on a pris conscience qu’il y avait un truc à faire. On ne pensait pas dominer comme on l’a fait mais on sentait que l’on pouvait jouer le titre à chaque fois.B.M. : En 2001, c’était une agglomération de talents émergents. Thierry avait 24 ans par exemple. Il était international depuis un an…J.F. : Oui, il avait fait l’Euro un avant mais il n’avait pas joué avec Daniel (Narcisse). Ils avaient aussi fait la préparation pour les Jeux mais ils n’étaient pas partis à Sydney…B.M. : Oui, donc ce Mondial était sa première vraie compétition, celle où il a joué un vrai rôle pour la première fois. Et je sentais qu’il avait un potentiel incroyable. Quant à Jérôme, je l’avais côtoyé à Toulouse quelques années auparavant, quand il était encore plus jeune, et son talent était plus que perceptible. Je me souviens d’un match de Coupe de France où il prenait le ballon, il sautait et il marquait. Je lui ai demandé pourquoi il ne le faisait pas tout le temps et il m’a répondu : «Parce que c’est trop facile». Non pas par prétention ou arrogance mais parce que ce n’était pas intéressant à ses yeux. Il cherchait juste la difficulté pour progresser.J.F. : Je voulais devenir un joueur complet. Tout le monde voulait que je mette dix buts par match car j’en avais la capacité. Sauf que j’avais une vision plus collective, je ne me voyais pas comme un avant-centre au football. Si tu n’as qu’un danger en face, il est facile à cibler. Donc cette démarche ne me correspondait pas, ce n’était pas dans mon tempérament. Je ne dis pas que je n’aime pas marquer des buts, mais j’apprécie aussi de bien jouer pour les autres. Pour moi, c’était un ensemble.B.M. : En tout cas, le talent, on le sentait à l’époque, aussi chez un Bertrand Gille qui nous avait dépanné au poste d’arrière gauche, ce qui était impressionnant pour un pivot. Guillaume Gille aussi avait un talent, plus classique mais tout aussi important. Et je ne parle pas de Didier dont on sentait déjà qu’il allait devenir un monstre en défense. Il n’y a peut-être que Daniel (Narcisse) pour lequel je n’aurais peut-être imaginé une si impressionnante carrière.Au-delà du talent, avaient-ils autre chose en plus ?B.M. : Une incroyable envie de gagner. Les Barjots avaient réellement eu envie de gagner entre 1992 et 1995. Après, cela s’était effiloché. Alors que cette génération qui arrivait en 2001, elle a eu envie de tout gagner pendant plus de dix ans. Physiquement, aussi, ils étaient plus forts que les autres. Mais mentalement, ils étaient hallucinants.J. F. : C’est vrai qu’il y a eu des caractères dans cette génération qui obligeaient les autres à en vouloir toujours plus. Je pense à Thierry, Didier et Bertrand. Ces trois mecs-là ne supportaient pas la défaite et ils ont entraîné tout le monde avec eux, à commencer par moi qui était plutôt un joueur qui cherchait le plaisir sans faire de la victoire un impératif absolu. J’avais besoin d’être avec des gens que j’apprécie pour pouvoir me régaler sinon je ne pouvais pas m’exprimer à 100%. Eux par contre ils s’en foutaient d’être potes avec les autres, ce qu’ils voulaient, c’était juste gagner. Tout le temps. Et cela s’est imprégné dans toute l’équipe.Un mot sur Daniel Costantini. Etiez-vous motivé aussi à l’idée de lui offrir une sortie par la grande porte ?B.M. : Je ne pense pas. Nous étions concentrés sur nous-mêmes. Je me suis seulement rendu compte après la demi-finale que le lendemain, ce serait le dernier match de Daniel à la tête de l’équipe de France. Je me souviens qu’à Nantes, il nous avait dit : «Je suis là, et je ne suis pas là. Je suis un ectoplasme. Vous voudriez me mettre des coups que vous passeriez à travers moi. Par contre, je suis là pour vous accompagner, pour vous aider.»J.F. : Pour vous guider.B.M. : C’était radicalement différent de la façon dont il fonctionnait auparavant. Il savait que c’était sa dernière compétition et il avait décidé de nous laisser les clés, de passer le témoin aux joueurs qui étaient présents. Et nous nous sommes pris en charge, même s’il ne nous avait pas laissé seuls dans la nature. C’était quand même Daniel (sourire). Mais il a été plus détendu, plus paternaliste que jusqu’à présent. Lui qui était très directif, qui pouvait être blessant, il s’est adouci sur ce Mondial 2001.N’était-ce pas alors les prémices de ce qu’allait mettre en place Claude Onesta par la suite ?J.F. : Oui, d’une certaine façon. A partir de 2006, c’est exactement ce que nous avons vécu avec Claude. Même si en 2001, quand il est arrivé à la tête de l’équipe de France, il a essayé de nous diriger et d’imposer sa vision personnelle. Sauf qu’il s’est vite rendu compte qu’il n’était alors pas en adéquation avec ce que nous vivions et ce nous attendions donc il a changé son fusil d’épaule. Il a dû évoluer dans le même sens que Daniel. Nous, joueurs, nous étions demandeurs de cela. Même si derrière, forcément, quand vous demandez un certain pouvoir, il faut l’assumer. Mais à ce niveau-là, je pense que nous avons su répondre aux attentes.